BOUCHE ET POSTURE, UNE RELATION SUBTILE (1/3)

Information sur les auteurs:

*         Z. Kuliberda (67300 Schiltigheim-Strasbourg, France), MKDE, Thérapie manuelle, Imagerie posturale 4D,

…Recherche et développement en biométrie posturale.

**       E. Le Borgne (4400 Nantes, France), Posturologue, Imagerie posturale 4D, Biométrie posturale.

***     C. Fages (13330 Salon-de-Provence, France), Podologue, Imagerie posturale 4D, Biométrie posturale.

****   R. Joerger (67000 Strasbourg, France)

***** T. Thomas (1055 Froideville, Suisse)

Cet article est destiné à informer tous les acteurs de la santé publique dont le quotidien est la prise en charge des troubles du système manducateur, sur la répercussion de leur stratégie de soins au niveau de l’appareil locomoteur. Mais cet article intéressera également les autres acteurs de la santé publique amenés à prendre en charge les troubles du système locomoteur et qui se voient confrontés à une impasse dans leur stratégie de soins.

Longtemps, le système manducateur a été restreint à la seule cavité buccale. Les différents travaux l’intégrant au système fonctionnel et postural n’ont pas fait l’unanimité notamment au sein de la communauté dentaire faute de preuves scientifiques. La posturologie n’a pas su l’en convaincre, probablement là aussi, par manque d’examen objectif ou de par sa position de discipline peu scientifique.

Aussi, cet article a pour but de faire découvrir au lecteur l’utilisation de la vidéo rasterstéréographie, en tant qu’instrument de mesure particulièrement fin, pour l’observation et l’étude de la possibilité relationnelle entre le système manducateur et le système postural.

L’aspect scientifique

La vidéo rasterstéréographie

La  vidéo rasterstéréographie est un procédé optique qui permet la reconstruction en 3D de la silhouette tronculaire postérieure d’un sujet observé. Un maillage régulier (raster) est projeté sur le dos du sujet et constitue l’image 1. Une caméra dont la fréquence d’acquisition est de 25 images/seconde capture la déformation des bandes projetées sur le dos du sujet sous un angle de convergence de 22°. La capture des déformations du raster constitue l’image 2 nécessaire au principe de stéréographie pour une reconstruction 3D (Frobin, Hierholzer 1981, 1983, 1985) et offre la possibilité de réaliser une série d’images permettant ainsi l’enregistrement d’une séquence de mouvements.

A ce jour, la précision de la reconstruction en 3D est de l’ordre du 10ème de millimètre et du 10ème degré grâce à la caméra de capteurs CMOS qui offre une visualisation de la grille de reconstruction conforme (Fig. 1) à la réalité de la surface du dos du sujet.

Un logiciel, Dicam, analyse des formes caractéristiques, telles que les voussures (gibbosités ou surfaces concaves) et les dépressions (méplats ou surfaces convexes) de la face postérieure du tronc, ce qui permet d’identifier les repères anatomiques en utilisant les principes mathématiques de la géométrie différentielle appliqués, par zone étudiée, à plusieurs milliers de points enregistrés.

Les travaux de Frobin et Hierholzer ont permis de déterminer une ligne de symétrie qui partage le dos en deux moitiés avec le moins d’asymétrie possible. Chez un sujet ne présentant pas de déformation du tronc dans le plan frontal, cette ligne de symétrie est verticale ou quasi-verticale et correspond  étroitement à la ligne des processus épineux des vertèbres. Dans la scoliose, la ligne de symétrie suit la ligne des processus épineux des vertèbres avec une excellente corrélation (Drerup 1996).

Ainsi grâce au calcul de la ligne de symétrie et à l’analyse de formes caractéristiques, le logiciel Dicam détecte automatiquement des points de repères osseux (Fig. 2) : dans la zone supérieure de la ligne de symétrie, la surface concave la plus marquée correspond à la proéminence dorsale du processus épineux de la vertèbre C7, dans la zone inférieure de la ligne de symétrie et latéralement à celle-ci, les surfaces convexes, droite et gauche, les plus profondes correspondent aux fossettes de Michaëlis qui entretiennent des rapports étroits avec les épines iliaques postéro-supérieures (Drerup et Hierholzer 1987).

Les divers travaux de Turner Smith sont la base de calcul d’une ligne plus antérieure à la ligne de symétrie qui est nommée ligne des centres vertébraux. Sa position antérieure ou profondeur par rapport à la surface du dos correspond à une constante établie sur des spécimens anatomiques.

La position latérale de la ligne des corps vertébraux (Fig. 3) dans la même étude fut estimée avec les hypothèses suivantes :

  • il y a concordance entre la rotation de surface et la rotation de la colonne vertébrale, le facteur K est très proche de 1 (Turner Smith et De Roguin 1984),
  • la ligne de symétrie suit la ligne des épineuses,
  • les corps vertébraux, pour l’essentiel, ne sont pas déformés par la scoliose,
  • la distance P entre le milieu d’un corps vertébral et la surface de la peau est une constante anatomique connue (P varie avec le niveau où est pratiquée la mesure sur la colonne vertébrale et la taille du corps humain mesuré).

Si toutes ces conditions sont réunies alors le centre des corps vertébraux est dans l’intervalle P depuis la surface de la peau et dans le prolongement de la perpendiculaire à la rotation de surface augmentée du facteur K.

Ainsi Dicam est en mesure de calculer et construire un modèle vertébral sans intervention d’un opérateur. Le tracé de  la ligne sagittale (Fig. 4) du centre des corps vertébraux à chaque niveau du plan horizontal et le calcul de la taille des vertèbres, déterminée en fonction de la distance entre C7 et L4, permet au logiciel d’effectuer  une proposition de modélisation finale des volumes vertébraux et de leur positionnement dans l’espace (Fig. 5).

                              Fig. 1                                                   Fig. 2                                                                 Fig. 3

                              Fig. 4                                    Fig.5

                                                                                                                                                                  Fig. 6

Le logiciel sélectionne les vertèbres types dans une banque de données contenant des milliers d’images de vertèbre en 3D, pour effectuer une proposition de rapports conformes (Fig. 6).

Méthodologie

Le dispositif équipé d’une caméra HD permet d’effectuer différents types d’enregistrements :

  1. l’enregistrement dit « Instantané ». Son acquisition se fait en 40 msec. Il est essentiellement utilisé pour la calibration outil/patient (hauteur de colonne, distance patient/caméra) avec un affichage quasi instantané du résultat de la reconstruction qui en découle et pour la vérification de la cohérence des paramètres proposés.
  • L’enregistrement dit « Posture moyenne ». Il est l’essence même de la vidéo rasterstéréographie. Son acquisition se fait en 6 secondes. La reconstruction proposée dans un temps quasi similaire à l’enregistrement est l’image la plus proche de la moyenne calculée à partir des 12 images extraites de l’enregistrement toutes les demi-secondes.

Cet enregistrement a notre préférence car il tient compte, pendant la période d’acquisition des données, des modifications de posture liées aux oscillations corporelles en position orthostatique et des mouvements du tronc. Compte tenu de la précision mathématique de l’imagerie optique, cet enregistrement prend tout son sens pour l’analyse comparative des modifications posturales induites physiologiquement ou par divers traitements. De fait, les enregistrements instantanés n’ont pas d’intérêt en médecine fonctionnelle.

La position orthostatique naturelle a également notre préférence puisqu’elle n’introduit aucun biais supplémentaire contrairement à une position orthonormée qui pourrait générer des adaptations. Citons David Gasq: « La position des pieds ne semble pas être un élément déterminant dans la reproductibilité des mesures. Cependant, nous pensons qu’une position proche de la position naturelle (position 17 cm – 14° proposée par McIlroy et al. 1997, figure 5) est plus adaptée qu’une position trop contrainte (McIlroy et Maki 1997) ».

  • L’enregistrement dit « Oscillations ». Seule la vidéo rasterstéréographie le rend possible lors d’une acquisition en 30 secondes. La reconstruction proposée, dans un temps d’une vingtaine de secondes, est une vidéo réalisée par juxtaposition de 30 images extraites au début de chaque seconde.

Pour la médecine fonctionnelle, cet enregistrement est du plus grand intérêt. Il est le témoin de l’organisation active du système postural.

Le recueil du signal oscillatoire permet d’évaluer la perturbation de tonicité posturale en liaison avec nos différents capteurs – le système oculomoteur, le système auditif, le système manducateur, la sole plantaire, la sensibilité cutanée et cicatricielle, le système proprioceptif ostéo-articulaire et organique – qui sont autant de voies d’entrées à une modification de l’activité tonique posturale.

L’enregistrement « Oscillations » permet donc  de mesurer toutes les variations du signal de l’activité tonique posturale et d’un point de vue biomécanique et biocinétique, il permet la visualisation des mouvements inter-segmentaires du tronc constituant ainsi une innovation majeure. De ce fait, la mesure des variations cinétiques des paramètres tronculaires permettent une approche différente de la synergie biomécanique.

Compte tenu du nombre de données informatiques à traiter et à stocker, les durées des enregistrements ont été définies pour un fonctionnement optimal du logiciel. Pour le besoin d’études ou de recherche, la durée d’enregistrement peut être modifiée selon les souhaits de l’opérateur.

L’outil d’aide clinique

L’être humain est une entité, un ensemble complexe où tous les éléments anatomiques sont reliés, c’est pourquoi on peut se poser la question de l’impact de l’occlusion par exemple sur la posture et inversement. Le système manducateur (ensemble des organes participant à l’acte de manger avec les divers récepteurs stomatognatique, récepteurs des dents, des muscles manducateurs, des articulations temporo-mandibulaires) joue-t-il réellement un rôle dans le contrôle postural ?

Pour Bricot, l’appareil manducateur est un trait d’union entre les chaînes musculaires qui, par sa particularité de mobiliser deux articulations en même temps à chaque mouvement, interfère sur les chaînes musculaires latérales en synergie. Certains auteurs nous rappellent que l’appareil stomatognatique et la sole plantaire, sont les deux seules entrées sensorielles pouvant coder la variation de pression (Sforza et al, 2006 ; Perinetti, 2007 ; Sakaguchi et al, 2007).

Compléter ce paragraphe. Peut-être par un rappel anatomo-physiologique?

Aussi, la moindre dysharmonie pourra générer des contraintes qui perturberont la mobilité tissulaire jusqu’à mettre en péril l’intégrité anatomo-physiologique amenant souffrances et pathologies articulaires, capsulaires, ligamentaires, musculaires, viscérales, …. Celles-ci s’exprimeront par des tableaux cliniques très variés en fonction de l’importance ou de l’origine de la contrainte mais aussi en fonction du « terrain » soumis à cette même contrainte.

Par terrain, il faut comprendre possibilités biologiques de tolérance qui permettent l’adaptation d’un système face aux modifications de paramètres aux conditions extérieures (sollicitations) et aux conditions intérieures (capacité fonctionnelle). Cette adaptation est générale à l’espèce mais comporte des spécificités propres à chaque individu qui, par son vécu et ses traumatismes, apprendra à compenser des déficits passagers voire permanents par des solutions pertinentes. C’est pourquoi, il est extrêmement délicat de vouloir tenter la moindre classification des pathologies de contraintes, tant elles sont le résultat d’une dysharmonie organisationnelle personnelle.

Quoiqu’il en soit, la prise en charge des pathologies de contraintes nécessite une visualisation claire et simple de l’état du moment et, bien entendu, de la répercussion d’un traitement appliqué.

La présentation qui va suivre permettra au lecteur de se faire une opinion sur les effets mesurés à distance de la mise en situation de différents éléments au niveau de l’appareil manducateur. Il nous faut rappeler que cette présentation n’a pas pour objectif de qualifier une action, mais de montrer l’existence ou non de réaction du système postural lors de sa mise en œuvre.

Nous avons choisi de décrire trois exemples : un sujet féminin qui a accepté de se livrer à une expérience occlusale, un sujet féminin enfant suivi lors de son traitement orthodontique et un sujet féminin adressé par son médecin ostéopathe pour un contrôle postural. Nous étudierons les différences potentielles de la posture chez les sujets 1 et 2 pour lesquels les enregistrements sont effectués sur une durée de 6 secondes pour pouvoir comparer des moyennes morphométriques. Compte tenu de la précision mathématique de l’imagerie optique 3D, rappelons que les enregistrements instantanés ne permettent pas les comparaisons du fait de la variation des paramètres lors des phases oscillatoires de la position orthostatique. Nous étudierons les modifications potentielles de l’activité tonique posturale chez le sujet 3 pour lequel les enregistrements sont effectués sur 30 secondes.

La posture moyenne

Les paramètres de base

Pour que le lecteur puisse juger par lui-même des modifications éventuelles, voici un décryptage simple des paramètres de base.

Au niveau du tronc, dans le plan frontal, nous observerons la déviation latérale et l’horizontalité des ceintures, dans le plan sagittal, la déviation antéro-postérieure, les angles de cyphose dorsale et de lordose lombaire et les flèches cervicale et lombaire, et dans le plan horizontal la rotation des ceintures et la rotation de certains niveaux vertébraux. Concernant la plaque barométrique nous observerons la répartition des charges sur l’axe antéro-postérieur et sur l’axe latéral.

Plan frontal

Plan horizontal

Sujet 1

Le sujet de 44 ans a été choisi parmi quatre volontaires parce qu’il était le seul à ne souffrir d’aucune douleur. L’expérience, menée par un dentiste spécialiste en occlusodontie, consiste à comparer trois situations par vidéo rasterstéréographie et enregistrement barométrique simultané. La première situation est l’enregistrement de la position orthostatique naturelle que nous nommerons référence. La deuxième et la troisième situation seront des enregistrements de la position orthostatique avec une cale occlusale de 1 millimètre placée successivement à gauche  puis à droite et que nous nommerons cale gauche et cale droite. Précisons que le sujet est resté sur la plaque barométrique dans sa position naturelle pour les trois situations  et que les enregistrements se sont succédé sans temps mort.

Voici ci-dessous la visualisation de la silhouette dans le plan frontal.

Cale Gauche                                                   Référence                                                Cale droite

Il faut avouer que si certains repères étaient absents sur ces images, il serait extrêmement difficile d’apprécier des modifications à l’œil nu.

En revanche, grâce aux repères l’on s’aperçoit que la cale gauche génère une modification au niveau des ceintures, scapulaire et pelvienne, et une diminution de la déviation latérale, alors que la cale droite génère une modification plus marquée au niveau du bassin et une inversion de la déviation latérale.

Voici ci-dessous les résultats des paramètres du plan sagittal.

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